dimanche 3 février 2008

Dévisager en toute quiétude

J'aime fixer les gens dans les transports en commun. J'essaie d'imaginer ce à quoi ressemble leur vie, je leur invente des personnalités, des soucis, des rêves. Ou je trouve tout simplement qu'ils ont l'air de vrais cons. Bon. Ce qui est embêtant, c'est que parfois, les gens fixés s'en aperçoivent, et ça peut devenir gênant. La semaine dernière, j'ai trouvé la cible idéale : un aveugle. OK, ça parait cheap, mais bon, ça ne lui fait pas de mal ! Il y avait donc dans le métro, un aveugle, cinquantaine avancée, barbu, très propre, bien habillé avec un manteau de cuir et tout. Mais ce qui me fascinait surtout, c'était le joujou qu'il avait sur ses genoux : une espèce de clavier hybride, avec une rangée de touches en braille, qu'il effleurait du doigt avec une régularité à faire pâlir un métronome. Une de ses mains glissait le long des touches et l'autre venait parfois appuyer son mouvement. J'avais l'impression d'assister à un ballet mystérieux dont je ne pouvais éloigner le regard. Autour de moi, tout le monde s'en crissait. Étais-je la seule qui n'avait jamais vu un truc pareil ? Ou bien la seule pas gênée de le fixer ? Ou bien la seule pas totalement engluée dans la monotonie métroïdale ?

À Jean-Talon, l'homme s'est levé pour descendre et évidemment tout le monde s'est tassé pour laisser passer le pauvre aveugle. Un homme qui se tenait près de lui avait déposé ses trucs par terre et s'en est éloigné pour laisser passer l'aveugle. Une autre femme a vu des trucs par terre, près du banc et a paniqué : "Monsieur, monsieur, est-ce que c'est à vous, est-ce que c'est à vous ?" Sa réaction était vraiment exagérée comparée à ce qu'on voit d'habitude. En se rendant compte que ce n'était pas à lui, elle s'est justifiée: "Ah je n'aurais vraiment pas voulu qu'il oublie ses choses." Tout le monde a hoché la tête. Qu'un pauvre type oublie son parapluie, on s'en câlisse, mais un aveugle, ah ÇA c'est grave. J'ai trouvé ça très drôle. Tout le monde avait pitié de l'homme parce qu'il était aveugle. Pourtant, il n'était visiblement pas démuni du tout, autant monétairement qu'intellectuellement. Il y avait dans ce wagon beaucoup de personnes qui faisaient beaucoup plus pitié que lui. Je le sais, je l'ai vu en les fixant effrontément...

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