dimanche 30 mars 2014

L'enfant-loup

Il y a un élève dans mon groupe de maths qui est tout un numéro. La plupart des profs le trouvent insupportables, sauf son titulaire et moi. Il est exigeant, turbulent, dérangeant. Et adorable, selon moi.

Son prof et moi le surnommons l'enfant-loup, parce qu'il est un de ces jeunes Haïtiens qui se sont visiblement élevés un peu tout seuls. Il manque cruellement d'éducation, dans tous les sens du terme. Il ne manque pas seulement de savoirs, de connaissances académiques, il manque de savoir-vivre, de savoir-être. Au début de l'année, il n'était pas de tout repos (il ne l'est toujours pas, mais c'était pire...). Il parlait en créole constamment, sans sembler s'apercevoir que nous les profs ne comprenions pas tout ce qu'il disait, et que les élèves le comprenaient encore moins. Beaucoup de frustrations, quelques claques échangées entre élèves, même un ou deux crachats au visage.

Les choses se sont tassées, mais il demeure un élève qui demande énormément d'énergie et qui prend beaucoup de place. Mais il a une telle authenticité, une telle vulnérabilité cachée sous une tonne de façade typiquement adolescente, qu'il est vraiment adorable.

Il reste à chacune de mes récupérations depuis le début de l'année, parfois presque jusqu'à 17h, même si elles finissent officiellement à 15h30. Si je suggérais de rester toute la soirée, il le ferait. Il reste jusqu'à ce que je lui demande de partir. Et il bûche tellement fort!

Parmi les trucs qui m'ont vraiment fait rire récemment, il y a sa conception tellement arrêtée de ce qu'est un homme et ce qu'est une femme.

Par exemple, avant la sortie aux glissades, quand nous jasions avec quelques élèves que j'ai suggéré à Enfant-Loup que nous pourrions glisser ensemble, il m'a regardé avec un air ébahi et m'a demandé ce que mon mari allait dire de ça. Euh...j'ai été tellement surprise que j'ai ri et je lui ai dit que ça ne dérangeait pas mon mari que je glisse sur la neige avec des petits garçons!

Plus récemment, j'ai chialé contre une chanson hyper dégoulinante de bons sentiments qu'ils avaient écoutée dans leur cours de français. Enfant-Loup n'a pas compris comment je pouvais ne pas aimer cette chanson. C'est une chanson d'amour qui s'adresse à une femme. Je suis une femme, ergo je devrais aimer cette chanson. Encore une fois, j'ai ri devant son air perplexe.

La semaine dernière, à la fin d'une journée, j'ai bien vu qu'il était préoccupé et traînait dans le local. Je lui ai demandé s'il voulait me parler de ce qui le tracassait. Il a commencé par me dire que je ne pouvais pas comprendre parce que ce sont des problèmes d'homme. J'ai ri et lui ai suggéré d'essayer quand même. Finalement, il m'a parlé de 30 minutes de ses problèmes avec son père. Et sa classique vilaine belle-mère. Et sa mère décédée. Je connaissais les grandes lignes de cette histoire pour en avoir déjà parlé avec son titulaire. Mais ça m'a fait plaisir de l'écouter, d'échanger avec lui, de le conseiller. Et de peut-être, juste un peu, modifier sa perception de ce qu'est une femme.

mercredi 26 mars 2014

Porc-épic et les problèmes de poids

Porc-épic et moi regardons une émission de télé. Il y a une fille vraiment maigre à l'écran. 

Moi : Ouache! Check la fille, elle est tellement maigre, on voit même toutes les bosses sur sa colonne vertébrale, c'est dégueulasse.

Porc-épic : Ouais, ça me met vraiment mal à l'aise le monde de même.

Moi, un peu perplexe face au choix de mot : Mal à l'aise...

Porc-épic : Ouais. J'aime quasiment mieux une madame tellement grosse qu'il faut qu'elle chie dans son bain.

mercredi 19 mars 2014

Toune du jour numéro 123

To build a home, Patrick Watson

Parce que c'est une toune magnifique. Et parce que le show de Patrick Watson à l'Église Saint-Jean-Baptiste est, je crois, un des événements marquants de ma vie. Sans blague.

dimanche 16 mars 2014

L'énigme du retour (premier post d'une longue série)

J'ai tellement aimé ce roman qu'il y a presque autant de post-it que de pages en ce moment...Attendez-vous donc à une longue série de citations de ce roman fabuleux.

"On peut bâtir sa maisonnette
sur le flanc d'une montagne.
Peindre les fenêtres en bleu nostalgie.
Et planter tout autour des lauriers roses.
Puis s'asseoir au crépuscule pour voir
le soleil descendre si lentement dans le golfe.
On peut bien faire cela dans chacun de nos rêves
on ne retrouvera jamais la saveur
de ces après-midis d'enfance passés pourtant
à regarder tomber la pluie."

L'énigme du retour, Dany Laferrière, p. 22


***

"Il y a autant de mystère à s'approcher 
d'un être qu'à s'en éloigner.
Entre ces deux moments
se déploient l'étouffante vie quotidienne
et son cortège de petits secrets."

p. 25

***

"Pour les trois quarts des gens de cette planète
il n'y a qu'une forme de voyage possible
c'est de se retrouver sans papiers
dans un pays dont on ignore 
la langue et les moeurs.

On se trompe à les accuser
de vouloir changer
la vie des autres
quand ils n'ont
aucune prise
sur leur propre vie.

Si on veut vraiment partir il faut oublier
l'idée même de la valise.
Les choses ne nous appartiennent pas. 
On les a accumulées par simple souci de confort. 
C'est ce confort qu'il faut questionner
avant de franchir la porte. 
On doit comprendre que le minimum de confort
qu'il faut pour vivre ici en hiver
est une situation rêvée là-bas."

p. 42

***

"Dès que j'arrivais dans un nouvel appartement
je disposais mes bouquins sur la table.
Tous déjà lus et relus.
Je n'achetais un livre que
si l'envie de lire était plus forte
que la faim qui me tenaillait.

C'est encore le cas de beaucoup de gens.
Quand notre condition change
on pense qu'il en est de même
pour tout le monde. 
J'en connais qui doivent choisir
constamment entre manger et lire. 

Je consomme autant de viande ici 
en un hiver
qu'un pauvre en mange en Haïti
durant toute une vie.
Je suis passé en si peu de temps
de végétarien forcé à carnivore obligé. 

Dans ma vie d'avant, la nourriture
était la préoccupation quotidienne. 
Tout tournait autour du ventre.
Dès qu'on avait de quoi manger tout était réglé.
C'est une chose impossible à comprendre
pour ceux qui ne l'ont pas vécue."

p. 44-45