jeudi 10 avril 2008

Frida

Une petite présentation était peut-être de mise pour une si grande personne. Je vais donc partager ici le texte que j'avais lu quand Frida a pris sa retraite. C'est un peu long, mais ça en dit beaucoup sur elle. Et sur moi.

"Ah, Frida…Je ne pouvais venir ici sans lui offrir ces quelques mots, sans vous parler un peu d’elle. Contrairement à vous, je n’ai pas eu la chance de la connaître depuis plus de 25 ans pour certains d’entre vous. Frida est entrée dans ma vie un matin de juin 2004. J’étais venue passer une entrevue ici, j’étais toute nerveuse, je m’étais déguisée pour l’occasion, jupe, blouse, sandales à talons empruntées à ma mère, oui, oui ! Dès que je suis entrée dans son bureau, ça a cliqué. Au fond, je n’avais aucune espèce de qualification pour ce travail, mis à part une certaine connaissance des ordis et un brin de débrouillardise. Je ne connaissais rien au travail de documentaliste et j’étais une personne parmi les plus désordonnées qui soient alors le classement moi…mais humainement, le contact s’est fait et Frida, si instinctive et organique, m’a laissé ma chance.

Les semaines ont passé et j’ai découvert une femme vraie, généreuse, brillante, stimulante. Frida m’a toujours fait confiance, a toujours cru en moi même si j’étais et suis encore d’ailleurs jeune, même si je n’avais pas d’expérience, même si je ne connaissais rien en santé sécurité. Elle écoutait d’un air amusé et intéressé toutes mes réflexions, mes surprises, mes nombreux, eh oui, questionnements. Ça peut paraître banal, mais pour moi ce ne l’est pas du tout. La capacité de faire confiance est une qualité très rare qui est tout à ton honneur, Frida. Il était très difficile de lui parler le lundi matin, de lui poser une question. On faisait la file devant son bureau. On se l’arrachait, chacun en voulait une petite partie. Un conseil, une oreille, un avis, une amie, les deux jours sans elle semblaient avoir été bien longs. Quelque chose me dit que pour les semaines à venir, les lundi matin auront parfois un air tristounet pour certaines personnes. Frida était au centre de l’univers asstsassien, sorte de soleil autour de qui tous tournaient, certains plus près, d’autres un peu plus loin.

Je me considère privilégiée d’avoir eu la chance de côtoyer ce petit soleil, de travailler à ses côtés. J’ai appris à la connaître, j’ai parlé d’elle aux gens qui m’entourent. Plus tard, quand je leur ai parlé de sa retraite, ils m’ont regardé avec un air surpris. C’est que si on oublie de le mentionner, l’âge de Frida surprend. C’est une rieuse brillante, folle de peinture, de cinéma, de BD, de tout ce qui touche aux arts. J’aimerais dire qu’elle a changé ma vision des têtes grises, mais ce serait faux. Car des têtes grises comme elle, il n’y en a pas deux.

J’ai toujours eu une vision de nos vies et de nos cœurs comme d’un immense parchemin roulé très serré et gravé de toutes sortes d’événements, de détails, de sourires, de déchirures qui sont autant de taches d’encre sur le papier. Certaines s’effacent à la longue, d’autres sont plus tenaces. Frida a laissé beaucoup de traces sur mon petit parchemin à moi et des traces qui y sont pour rester. Je garderai un souvenir vif de nos dîners un peu fous et pleins de rires, de ces fois où tu m’as écoutée pleurer dans ton bureau, ces fois où je t’ai fait pleurer un peu aussi. Je me rappellerai de mon étonnement réjoui quand tu m’as montré des photos de tes toiles. Avouons-le, quand quelqu’un nous dit qu’il peint, on attend avec anxiété le moment où on devra s’extasier devant une sorte de peinture à numéro sans numéro. On s’attend à des chalets en bois ronds devant des montagnes en automne, des pierrots qui pleurent et des ballerines. Mais les tableaux de Frida sont à son image : pleins de couleur, vifs, passionnés, intrigants, tout en nuances. Je me rappellerai aussi de ton éclat de rire quand j’ai callé des hot-dogs dans la rangée 13 à l’intercom (eh oui, je l’avoue). Je me rappellerai aussi de ton côté rebelle. Pour ceux qui ne se rappellent pas de l’histoire, je la répète. Au cocktail du 25e anniversaire de l’ASSTSAS, Frida et Diego nous avaient offert, à Plume et à moi, de nous amener. En arrivant au musée, on cherche un espace de stationnement, et Diego décide de se stationner en avant du musée, dans le stationnement à côté du centre des sciences. On s’avance et un préposé du stationnement nous demande où nous allons, puis nous dit que nous ne pouvons nous stationner à cet endroit, il y avait une fête ou je ne sais trop. Eh bien Frida et Diego s’en sont foutu royalement. Diego remonte la fenêtre, enfonce la pédale et continue son chemin tout simplement. Plume et moi nous regardons d’un air ahuri pendant qu’une chaîne de préposés crient dans leur walkie-talkie que nous n’avons rien à faire là. Je vous jure, vous auriez dû nous voir, Plume et moi, stressées à mort, enfoncées dans le siège, attendant la punition pendant que nos deux aînés se stationnaient tout simplement. Mais après, il fallait descendre de la voiture, et repasser devant les préposés à pied ! Frida et Diego, super calmes ont fait leur petit bonhomme de chemin, bien calmement, pendant que Plume et moi constations avec effarement que nous étions peut-être trois fois plus jeunes, mais aussi trois fois moins rebelles que notre couple adoré.

Tout ça pour dire que je t’envie Frida, je t’envie d’être à l’heure de la retraite et d’être si belle, épanouie, en forme, créative, pleine de vie. Je te remercie pour toutes les belles choses que tu m’as fait vivre, pour tout ce que tu m’as appris. Tu m’as appris à être plus rebelle parfois, à me foutre de ce que les autres peuvent bien penser, à rester moi-même. Tu m’as encouragée et inspirée à entretenir cette créativité qui m’habite, cette envie de m’exprimer par l’art. Tu m’as donné envie de continuer à me battre becs et ongles pour ce et ceux que j’aime, comme tu l’as toujours si bien fait pour moi et pour tous ceux qui t’entourent. Tu m’as surtout appris, à moi qui chiale, crie et rue dans les brancards, que la force n’est pas toujours explosive et imposante, qu’elle peut aussi être tranquille et qu’on peut avoir beaucoup de pouvoir sans faire beaucoup de bruit. Nous en avons souvent parlé, tu sais comme je suis angoissée et je déteste faire des choix importants, je suis dans une période de ma vie où ces choix s’enchaînent à une vitesse folle et je trouve ça très difficile. Toi tu commences une nouvelle vie, pleine de rires et de peinture, une nouvelle vie où tu regardes vers l’avant avec espoir et vers l’arrière avec fierté. Je t’envie pour ça et te remercie pour une chose car dès que je t’ai rencontré, il y a eu au moins une chose où je n’ai pas eu à faire de choix. Je n’ai pas eu le choix de t’aimer. Je t’embrasse de tout mon cœur et je te souhaite la plus belle des retraites."

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