jeudi 17 janvier 2013

Veuf

Quelques extraits de ce court récit que j'ai apprécié pour sa douce douleur et son romantisme mélancolique. Le titre dit tout je pense.

"Sylvie est partie discrètement sur la pointe des pieds, en faisant un entrechat et le bruit que fait le bonheur en partant.

Elle ne voulait pas déranger, elle m'a dérangé au-delà de tout.

Cette année, l'hiver a commencé plus tôt, le 12 novembre. Je crois qu'il va durer très longtemps et être particulièrement rigoureux.

Sylvie m'a quitté, mais pas pour un autre." Veuf, Jean-Louis Fournier, p. 10

***

"Si je dis que je vais bien, ce n'est pas vrai ; si je dis que je vais mal, ce n'est pas vrai non plus. Je vais.

J'ai toujours pensé égoïstement que j'aurais la chance de mourir le premier. Sylvie pourrait en profiter, faire les voyages que je n'ai jamais voulu faire. Aller en Namibie caresser les tigres. Elle rencontrerait un beau veuf tout frais, très gentil, qui lui dirait tous les jours qu'elle est la plus belle, même quand ce ne serait plus vrai.

Aujourd'hui, en regardant ses photos, je m'aperçois qu'elle était aussi belle que la femme des autres." p. 17

***

"J'ai été amputé de toi sans anesthésie. On m'a retiré ma moitié, ce que j'avais de mieux. Je m'arrose de ton parfum pour que tu repousses. 

Il arrive encore du courrier pour toi, j'ouvre tes lettres. Un jour, je vais peut-être découvrir la lettre d'un amant qui t'aimait éperdument. Je pense que je ne t'en voudrai pas, peut-être même que j'aurai envie de le rencontrer, pour parler de toi." p. 43

***

"C'est le début de la fin. Je vais devoir me contenter de souvenirs. J'aime bien évoquer le passé avec des amis d'époque. Un bon souvenir, c'est comme une bonne bouteille, il ne faut pas le boire seul." p. 49

***

"Le plus terrible, c'est que je vais mourir seul, tu ne seras pas là pour me rassurer, me tenir la main, me fermer les yeux.

En même temps, je préfère que tu évites tout ça. Toi au moins, tu ne seras jamais veuve." p. 50

***

"Je n'ai jamais pleuré, je crois, quand tu es morte. J'ai envie de dire que j'étais trop malheureux, et les larmes paraissaient dérisoires. Je pleure seulement au cinéma, parce que c'est du cinéma." p. 65

***

"Chaque fois que je vois des affaires à toi, j'ai du chagrin, surtout ton sac à main. Chaque fois que je rentrais à la maison et que je le voyais assoupi sur une chaise de l'entrée, j'étais rassuré, tu étais là. 

Maintenant, ton sac est toujours là, mais pas toi. 

Garcia Marquez a écrit : "Les gens qu'on aime devraient mourir avec toutes leurs affaires."" p.85

***

"Si j'étais parti avant toi, comment aurais-tu réagi? 

Je pense que tu aurais été malheureuse. Finalement, on était un bon couple. Le temps avait fait quelques dégâts, la vie quotidienne avait un peu usé des choses, les agacements mutuels avaient grossi, on se détestait parfois, mais pas longtemps. On restait toujours complices. Entre nous, le courant passait. 

Tu étais le pôle positif, j'étais le pôle négatif. Ça faisait de la lumière, et souvent des étincelles." p. 124

***

"Si tu lis tout ce que j'ai écrit, tu vas avoir envie de revenir. Je pense ne t'avoir jamais dit autant de choses agréables, sans doute à cause de mon imbécile pudeur. Autant je suis habile pour dire des choses désagréables, autant les choses agréables restent coincées dans ma gorge. Maintenant que tu n'es plus là, j'ai moins honte. Et puis j'ai l'impression que c'est plus facile d'écrire que de dire. 

Le jour où l'eau courante ne court plus on regrette sa fraîcheur  quand la lampe s'éteint on regrette sa lumière, et le jour où sa femme meurt, on se rend compte à quel point on l'aimait. C'est triste de penser qu'il faut attendre le pire pour enfin comprendre. Pourquoi le bonheur, on le reconnaît seulement au bruit qu'il fait en partant?

Est-ce que j'étais heureux avant ton départ? On a tendance, après un malheur, à penser qu'avant, c'était toujours bien. Ce n'était pas toujours bien, c'était mieux." p. 129

Aucun commentaire: