jeudi 6 janvier 2011

Le voyage d'hiver

Je retrouve le plaisir de lire pour moi et pas pour mes ados. Je retrouve aussi le plaisir de lire avec des post-it. Contrairement à Papoune, j'ai horreur de laisser des traces permanentes dans mes livres. Je ne souligne rien, ne tache rien, ne plie pas les coins de pages. Mais je mets des post-it et je me suis dit que je pourrais partager ici mes coups de coeur, pour vous donner envie de les lire...et pour mon propre plaisir quand je vais avoir envie de me replonger dans quelques mots chéris!

Premier plongeon de l'année dans Le voyage d'hiver d'Amélie Nothomb. En gros, un homme qui veut faire exploser un avion raconte ce qui l'a mené là. L'amour, évidemment, mais à la Nothomb, donc pas très eau-de-rose. Pas son meilleur roman, pas son pire non plus. Un objet déconcertant comme elle sait si bien en écrire. Moi je l'aime, dans toute sa bizarrerie. Et quel sens de la formule qui fesse. Quelques extraits que j'ai trouvés bien écrits ou qui m'ont tout simplement rejointe plus que les autres, qui m'ont fait voyager, réfléchir, vibrer.

"À quinze ans, il y a une ardeur de l'intelligence qu'il importe d'attraper : comme certaines comètes, elle ne repassera plus."

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"Je ne pense pas que la médiocrité m'ait eu. J'ai toujours réussi à maintenir une vigilance de côté-là, grâce à quelques signaux d'alarme. Le plus efficace d'entre eux est le suivant : aussi longtemps qu'on ne se réjouit pas de la chute de quelqu'un, c'est qu'on peut encore se regarder dans la glace. Se délecter de la médiocrité d'autrui reste le comble de la médiocrité."

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"Tomber amoureux l'hiver n'est pas une bonne idée. Les symptômes sont plus sublimes et plus douloureux. La lumière parfaite du froid encourage la délectation morose de l'attente. Le frisson exalte la fébrilité. (...) L'hiver et l'amour ont ceci de commun qu'ils inspirent le désir d'être réconforté d'une telle épreuve ; la coïncidence de ces deux saisons exclut le réconfort. Soulager le froid par la chaleur écœure l'amour d'une impression d'obscénité, soulager la passion en ouvrant la fenêtre sur l'air vif envoie au tombeau en un temps record."

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"Ils sont énervants, avec leurs consignes de sécurité à la noix. En vérité, quelles que soient leurs interdictions, il y aura toujours un moyen facile de détourner un avion. L'unique principe de précaution valable consisterait à supprimer l'aviation. Comment le terroriste de base pourrait-il ne pas rêver d'accéder, d'une manière ou d'une autre, à ces fabuleux engins volants? Terroriste de train, de bus ou de dancing, c'est minable. Le terroriste aspire forcément au ciel - la plupart des kamikazes y aspirent doublement, anticipant leur séjour dans l'au-delà. Terroriste terrestre, cela a un côté marin d'eau douce.

Jamais terroriste n'a agi sans idéal - idéal atroce, idéal tout de même. Que ces nuées soient des prétextes n'y changent rien : sans le prétexte, il n'y aurait pas de passage à l'acte. Le terroriste a besoin de cette légitimité illusoire, particulièrement s'il est kamikaze.

Cet idéal, qu'il soit religieux, nationaliste ou autre, prend toujours la forme d'un mot. Koestler dit avec raison que ce qui a le plus tué sur terre, c'est le langage."

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"Astrolabe se rhabille et me conseille de l'imiter. Je remets mon armure de chagrin. Elle me dit que ce n'est pas grave, que nous partageons quelque chose. Il y a des tentatives de consolation qui décuplent la douleur. Je me tais."

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"Il y a deux manières de lire un tel message : soit de pleurer face à tant de beauté, soit d'éclater de rire face à tant de grotesque. Il reste en moi assez d'amour pour que ces mots fassent sauter ma tête comme un bouchon de champagne. Mais aussi assez de désillusion pour entendre leur possibilité de ridicule. On n'est vraiment indulgent que quand on est amoureux fou ; dès qu'on aime un rien moins, la vacherie naturelle reprend le dessus. J'oscille entre ces deux stades."

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