dimanche 26 janvier 2014

Début de ménage de bibliothèque : Arvida

Les livres s'empilent sur les tablettes de ma bibliothèque et les post-it s'accumulent sans que je prenne le temps de noter ces petites perles ici.

Je commence une tentative de rattrapage. Premier sur le dessus de la pile, Arvida de Samuel Archibald, un recueil de nouvelles que j'ai apprécié même si je l'ai trouvé inégal. Certains récits sont très savoureux et certains passages ont laissé une trace dans mon petit coeur de lectrice. J'en partage quelques-uns avec vous.

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"On avait finalement compris. Au milieu de toute cette abondance, de ces lasagnes, de ces rôtis et de ces plats en sauce au tiers entamés, mon père se jouait depuis dix ans une grande comédie de la misère, avec lui dans le rôle du père se sacrifiant pour les siens. Une comédie de l'abnégation dans la cantine d'un régiment. 

Quand j'y pense maintenant, la comédie s'assombrit. Quelque chose de tragique se dessine en elle à mesure que je vieillis. Il y a là-dedans la trace d'une nostalgie amère inscrite au coeur des choses. Il y a là-dedans l'idée de vouloir faire quelque chose de grand pour des gens qui ne demandent rien et qui n'ont besoin de rien; l'idée d'un sacrifice réduit à un simulacre ridicule et secret; l'idée que l'objet du désir n'a jamais rien à voir avec le désir lui-même; l'idée que la satisfaction du désir ne le comble pas plus qu'il ne le fait disparaître, qu'au milieu de toutes les choses voulues le désir demeure en nous et se dessèche en remords et en regrets."

Arvida, "Mon père et Proust", p. 18

Évidemment, c'est ce dernier bout qui m'allume et me tue tout à la fois. 

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"L'Amérique est une mauvaise idée qui a fait du chemin. C'est ce que j'ai toujours pensé et ce n'est même pas une image.

J'aurais dû dire: l'Amérique est une mauvaise idée qui a fait beaucoup de chemins. Une idée qui a produit des routes interminables qui ne mènent nulle part, des routes coulées en asphalte ou tapées sur la terre, dessinées avec du gravier et du sable, et tu peux rouler dessus pendant des heures pour trouver à l'autre bout à peu près rien, un tas de bois, de tôle et de briques, et un vieux bonhomme planté debout en travers du chemin qui te demande : 

- Veux-tu bin me dire qu'est-ce que tu viens faire par icitte?"

Arvida, "Antigonish", p. 25

Description drôle et assez juste qui illustre pourquoi l'Amérique me fascine et m'attire, pourquoi j'éprouve tant de plaisir à sillonner ses routes que je voudrais explorer jusqu'à épuiser le dernier baril de pétrole de la planète. 

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"Un jour qu'on était rendus vraiment loin dans le Nord, je lui avais demandé comment s'appelait le lac devant lequel on venait de s'arrêter pour le lunch. Il avait haussé les épaules. 

- Tu sais pas?

- Non, c'est pas ça. Ton lac, il a pas de nom.

- Comment ça, il a pas de nom?

- Personne vient jamais par ici.

Les Indiens ne s'éloignaient pas sans raison des sentiers de portage millénaires et des voies navigables, et ils n'éprouvaient aucun besoin de donner des noms aux lieux qu'ils ne visitaient jamais. C'était une manie d'Européens d'aller partout et c'était devenu une manie d'Américains de construire des routes pour aller nulle part. Ces routes-là, Menaud et moi, on en a fait au moins la moitié. On ne pouvait pas les compter dans ce temps-là, on ne pouvait pas savoir où elles mèneraient. 

L'Amérique était une sorte de grande carte en asphalte tracée à même les terres, un continent à redécouvrir. Ils peuvent sûrement les étiqueter, aujourd'hui, les routes, les cartographier et les suivre du doigt avec leurs GPS. Mon gendre s'est même acheté une auto qui parle. Elle lui dit à tout bout de champ qu'il s'est trompé de chemin et je veux bien être pendu si je laisse un jour une machine me parler sur ce ton-là."

Arvida, "Antigonish", p. 34-35


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